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Graines de Souris - Le blog de Sue-Ricette
2 mai 2020

Istanbul, souvenirs d'une ville

istanbul-souvenirs-d-une-ville- Évocation d'une ville, roman de formation et réflexion sur la mélancolie, Istanbul est tout cela à la fois. Au gré des pages, Orhan Pamuk se remémore ses promenades d'enfant, à pied, en voiture ou en bateau, et nous entraîne à travers ruelles en pente et jardins, sur les rives du Bosphore, devant des villas décrépites, dessinant ainsi le portrait fascinant d'une métropole en déclin. Ancienne capitale d'un vaste empire, Istanbul se cherche une identité, entre tradition et modernité, religion et laïcité, et les changements qui altèrent son visage n'échappent pas au regard de l'écrivain, fin connaisseur de son histoire, d'autant que ces transformations accompagnent une autre déchirure, bien plus intime et douloureuse, celle provoquée par la lente désagrégation de la famille Pamuk – une famille dont les membres, grands-parents, oncles et tantes, ont tous vécu dans le même immeuble – et par la dérive à la fois financière et affective de ses parents. Dans cette œuvre foisonnante, magistralement composée et richement illustrée, Orhan Pamuk nous propose de remonter avec lui le temps de son éducation sentimentale et, in fine, de lire le roman de la naissance d'un écrivain. -

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Mon avis :

Comment aborder une telle oeuvre ? Comment, avec mes petits mots de blogueuse, rendre hommage à ce livre si dense et magistral, si beau et poétique ? Pour la première fois de ma vie, je me trouve au pied du mur, car j'ai l'impression que cet article, aussi complet puisse-t-il être, ne saura pas décrire tout ce que cet ouvrage magnifique et totalement unique en son genre m'a apporté. Un comble, me direz-vous, pour une chroniqueuse... Mais qu'importe ! Le défi est de taille, mais il ne me fait pas peur, car je sais qu'au plus profond de mon coeur demeurent les mots justes, ceux-là mêmes qui trouveront un écho en chaque lecteur qui découvrira ce billet, pour vous parler d'Istanbul, de sa vie et de ses innombrables trésors.

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  • Un dédale de rues

Tel un labyrinthe géant, Istanbul se dessine sous la plume d'Orhan Pamuk, ce contemporain nostalgique d'une vie qui fut, de celle qui est, et d'une autre qui, peut-être, ne sera jamais... Sur les ruines d'un ancien empire prospère et puissant, une autorité à nul autre pareil en son temps, l'Istanbul républicaine délaisse son histoire, comme si elle cherchait à renier son passé, à oublier les conquêtes, le pouvoir, la beauté, mais aussi la cruauté qui façonnèrent autant la gloire que la crainte, l'admiration autant que la terreur des centaines d'années de règne de la dynastie ottomane. L'auteur, perdu dans une contemplation méditative teintée de mélancolie, observe la déchéance de sa nation, de son pays, la décrépitude des rues et des quartiers, l'insalubrité des murs et des trottoirs sans jamais, pourtant, poser sur ce cocon de souvenirs un regard de haine. Orhan Pamuk tisse des liens invisibles entre le hüzün, cette tristesse spleenienne partagée par tous les stambouliotes, et les hauts et les bas de la ville, ses aléas politiques, économiques, historiques, sociaux, allant même jusqu'à créer un parallèle saisissant avec sa propre existence. Ainsi, il décrit avec beaucoup de sensibilité l'attachement qui nous lie à un lieu, qui nous rend indissociable de la vie de ce lieu et qui, jour après jour, au fil du temps, amène nos pas sur les souvenirs, les mémoires gravées pour l'éternité dans la pierre vétuste des maisons, dans le bois pourri et humide d'un abri de pêcheur qui, malgré le poids des ans et le désintérêt des hommes, tient encore debout, sait-on par quel miracle...

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"Quiconque souhaite donner un sens à sa vie s'interroge également, au moins une fois dans son existence, sur le lieu et l'époque de sa naissance. Que signifie être né à tel endroit et à tel moment de l'Histoire ? Cette famille, ce pays, cette ville qui nous sont attribués à la manière d'un ticket de loterie, que l'on nous demande d'aimer et que l'on finit le plus souvent par aimer pour de bon, sont-ils le fruit d'un partage équitable ?" 

 

"Comment donc la beauté d'une ville, la richesse de son histoire ou bien ses mystères pourraient-ils être des remèdes à nos souffrances intérieures ? Peut-être aussi que la ville où nous vivons, tout comme notre famille, nous l'aimons parce que nous n'avons pas d'autre solution ! Mais il nous faut inventer les lieux et les raisons à venir de notre amour pour elle."

(extraits d'Istanbul, souvenirs d'une ville)

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C'est un livre de questionnements, une invitation à la réflexion sur la condition humaine, les choix qui, trop souvent, ne sont pas les nôtres, mais résultent d'un conformisme sociétal insaisissable, incompréhensible, et qui nous poussent à accepter un destin dont nous ne voulons pas. Istanbul, c'est tout à la fois une ville opprimée et souveraine, contrainte de suivre les règles, la loi, et en même temps libre de modifier les codes et d'évoluer au rythme d'un monde en perpétuel changement. Orhan Pamuk se plonge dans les secrets insoupçonnés, les anecdotes refoulées et occultées du passé aussi lumineux qu'obscur de cette ville qui le fascine et l'appelle au plus profond de son âme. Istanbul ne vit pas aux dépens de chacun, son coeur bat par la seule et unique force commune des stambouliotes réunis par les mêmes sentiments, les mêmes émotions inconscientes qui les poussent à se créer une vie collective. Le hüzün, ce chagrin mélancolique ou réside une part de nostalgie désabusée, caractérise ainsi la culture, la manière de penser et d'agir de ce pays aux confins de l'Orient et de l'Occident.

D'ailleurs, pour Orhan Pamuk, il n'est pas si exact d'avancer une telle situation, aussi géographiquement vraie soit-elle. Pour l'auteur, c'est cette constante comparaison, ce rapprochement inéluctable opéré par nombre d'étrangers curieux aux désirs exotiques qui, en somme, nuit à l'authenticité, au charme premier, originel, de cette Istanbul disparue, évaporée dans les méandres des esprits, si peu consignée dans les archives historiques et ignorée de son temps par les pachas et autres prestigieux sultans. Le romancier se délecte autant qu'il se trouve dégoûté par l'occidentalisation totalement illusoire qui fit renaître (ou chuter, plus vraisemblablement) la Turquie dans son ensemble, et amena la capitale à se chercher une identité qui, malheureusement, n'était et ne sera jamais la sienne. Provoquer la refonte complète du pays entraîna autant de bouleversements bénéfiques que de destructions inénarrables d'un passé qui, du haut de sa lointaine existence, observe la médiocrité moderne que Orhan Pamuk décrit avec un mélange de curiosité, de lassitude et d'engouement certain à plonger au coeur même de cette ville qui l'a vu naître et grandir.

Pourtant, malgré la décadence d'Istanbul, l'auteur parle d'espoir, d'amour, de joie, de bienveillance et de tolérance. Entrecoupant les chapitres dédiés à cette ville qu'il aime par d'autres plus personnels, il nous confronte aux vicissitudes du temps qui altèrent notre esprit et abîment notre coeur. Les aléas de la vie ne doivent pas nous faire oublier qu'une ville, aussi décevante soit-elle à nos yeux, aussi sales, répugnantes et tristes puissent-être ses rues délavées et jaunies, telle une photo de famille que les années n'auraient pas épargnée, cette ville reste la nôtre et occupe dans notre coeur une place qu'aucun autre lieu sur Terre ne pourra jamais remplacer. Ainsi, le Bosphore, lieu emblématique d'une enfance heureuse et, pour Orhan Pamuk, témoin ancestral de nombreuses vies envolées, ne distingue pas le bien du mal et engloutit à tout jamais dans ses eaux mystérieuses les peines et les joies, les larmes et les sourires, les drames et les amours...

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"Le plaisir de se promener sur le Bosphore, de se mouvoir au sein d'une ville si vaste, si riche historiquement et si mal entretenue, vous fait éprouver la liberté et la force d'une mer profonde, puissante et animée. Le voyageur qui file, porté par les rapides courants, au milieu de la saleté, de la fumée et du brouhaha d'une ville tellement populeuse, sent que la force de la mer passe en lui et qu'au sein de toute cette multitude, de toute cette densité historique et de tous ces bâtiments, il est tout de même possible de demeurer libre, la tête haute."

(extrait d'Istanbul, souvenirs d'une ville)

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  • Une vie entre deux eaux

Istanbul, symbole d'un seul et même battement coeur pour des millions d'âmes, reflète également le passé, le présent et l'avenir de chaque individu. Orhan Pamuk se replonge donc dans son enfance et son adolescence, des périodes qui furent pour lui non pas synonymes d'insouciance et de légèreté, mais plutôt de doutes, d'incertitudes, de remises en question et de nombreuses interrogations quelque peu existentielles. Vivant au sein d'une grande famille, le petit Orhan habite dans l'immeuble familial construit par son grand-père. Les souvenirs de son enfance, partagée entre les bagarres incessantes et parfois douloureuses avec son frère, les entrevues régulières avec les autres membres de la famille, les disparitions inexpliquées de son père et la tristesse de sa mère, ne font pas remonter en lui une peine immense ou un mal-être qui ne cicatrisera jamais. Au contraire, ces pensées enfouies dans son inconscient rejaillissent avec une certaine détermination, un besoin de comprendre le petit garçon qu'il était alors et qui s'amusait à la seule idée d'imaginer un autre Orhan, semblable à lui, vivant autre part et dont il ne saura jamais rien. Les caprices scolaires, eux, lui permettent de se souvenir de sa grand-mère, à la fois douce et autoritaire, de ses instituteurs et du matraquage réglementaire dont quelque-uns faisaient preuve vis-à-vis des élèves, des amis, des petites amourettes d'école qui ne débouchèrent sur rien, mais également du premier véritable amour, plus tard au lycée, une histoire déchirante et pleine de rêves, désillusionnée dans la tourmente spirituelle des coeurs et de la bienséance...

Istanbul n'est pas seulement une ville, ni même ce livre à l'écriture dense et prenante, c'est un état d'esprit, un écho qui trouve sa résonance en nous et fait vibrer notre âme, fait frissonner notre corps d'un tremblement léger, nouveau et qui inscrit dans un coin de notre tête non pas son exotisme sensuel, mais sa force, son courage, sa beauté simple et grisâtre, ses bâtiments en ruines, ses charpentes calcinées, vestiges passionnants d'un voyage intemporel qui nous amène à découvrir la ville dans sa forme la plus pure, dépourvue des curiosités habituelles qui ne mettent sur le chemin de ce récit merveilleux que les superficialités d'un monde inconnu et lascif. Le véritable lien qui nous unit à Istanbul, c'est la force de vie qui se dégage de ses murs, la diversité et la richesse culturelle de la bulle dans laquelle elle évolue et qui, malgré le désir d'avancer sur la voie de l'occidentalisation, la maintient à l'abri des regards et la protège d'une chute irréversible, l'empêchant ainsi de sombrer définitivement dans le fleuve infini de l'oubli commun.

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En résumé, Istanbul, souvenirs d'une ville est un coup de ♥ intersidéral ! Pour moi, c'est plus qu'un roman, un essai ou encore une autobiographie écrite avec le coeur et la main d'un auteur passionné. C'est là l'oeuvre d'un écrivain qui aime profondément, viscéralement sa ville et qui s'attache non pas à conserver dans sa mémoire un souvenir impérissable de ce lieu qui lui est si cher, mais bien à écrire la vie, l'immortalité qui ne peut se voir ou s'entendre, mais seulement se ressentir dans les tréfonds de l'âme, là où demeure l'amour éternel qui jamais, ô jamais, ne s'éteindra.

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Détails sur ce livre :

Istanbul, souvenirs d'une ville, publié aux éditions Folio

Auteur : Orhan Pamuk

Nombre de pages : 560 pages

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Je vous dis à bientôt pour un prochain article et je vous souhaite de faire de belles lectures.

Sue-Ricette

coup de coeur

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Commentaires
P
ayant visité la ville il y a quelques années et que j'ai beaucoup aimée, je vais me procurer ce livre. belle soirée.
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B
Je n’ai pas lu ce livre mais je suis allée à Istanbul ❤️. J’ai été conquise à la minute où j’ai posé les pieds dans cette ville. Une ville superbe, magnifique avec des gens, sympathiques, accueillants, souriants. <br /> <br /> Si tu as l’occasion d’y aller n’hésite pas, et ce qui ne gâte rien les garçons sont beaux, mais beaux ,bon il faut aimer les bruns évidemment hihihi<br /> <br /> Bises
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