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Graines de Souris - Le blog de Sue-Ricette
13 juin 2020

Son Excellence Eugène Rougon

son-excellence-eugène-rougon- Voici un roman centré autour d'un personnage, et ce personnage lui-même ne vit que par et pour la politique. Voici un roman où la politique ne fait pas une apparition occasionnelle, comme dans L'Éducation sentimentale ou même Lucien Leuwen, mais qui, d'emblée, se propose de montrer les coulisses gouvernementales, les aspects officiels de la vie politique, et aussi bien ses dessous, nous fait assister à une séance de l'Assemblée et à un conseil des ministres. Un roman qui présente l'ambition politique comme une idée fixe, comme une passion mobilisant toutes les forces d'un homme. Ce n'est pas si mince originalité, du moins à la fin du XIXe siècle. Rassurons-nous, en effet, tout cela se passe sous le Second Empire : aucune allusion à notre siècle finissant n'est à craindre. Et pourtant... -

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Mon avis :

Pour cette chronique, le temps aura sans doute été mon meilleur allié... et mon pire ennemi aussi ! Il m'a fallu environ un mois pour venir à bout du sixième tome des Rougon-Macquart, un volume qui, pour la première fois depuis le début de mon aventure littéraire dans le monde de Zola, ne m'aura pas laissé un souvenir impérissable et m'aura même quelquefois ennuyée.

Allons donc ! Ai-je vraiment détesté à ce point Son Excellence Eugène Rougon ? Pas si sûr, mais la balance ne penche cette fois pas en faveur du coup de coeur pour autant... Un avis détaillé s'impose donc, un avis qui revient sur les dessous de ce grand roman, car oui, s'il fut malgré tout une lecture laborieuse pour moi, il n'en reste pas moins une oeuvre grandiose et passionnante.

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  • Faire son entrée dans le grand monde

C'est, je pense, l'aspect qui m'a le plus passionnée tout au long de ma lecture. Émile Zola dresse ici le portrait d'un empire opportuniste et à la politique tout aussi fluctuante que ses représentants. Si l'auteur nous avait déjà confrontés à la haute société dans La Curée (chronique ICI), je trouve pour ma part que le sujet est davantage travaillé et exposé dans toute sa dérangeante nudité, si je puis l'exprimer ainsi, dans ce nouvel opus. Les personnages de La Curée restaient des bourgeois plutôt aisés qui, par leur fourberie et leur ambition démesurée, avaient réussi à tirer leur épingle du jeu pour se tailler une place dans le beau monde. Eugène Rougon est en quelque sorte l'opposé d'Aristide Saccard, car là où ce dernier se fait spéculateur malhonnête, l'autre témoigne à l'Empire une fidélité et une loyauté à toute épreuve.

Il est un peu comme le limier de l'empereur, étant tout autant un esclave, un pion dont il est facile de se débarrasser, qu'un valeureux conseiller et exécutant acharné, dévoué à faire appliquer les décisions d'une politique qu'il mène tambour battant. Mais la chute, inéluctable, de ce personnage à l'influence notoire et à la naïveté enfantine ne risque-t-elle pas de soulever des polémiques sourdes, des colères silencieuses, des contentieux de longue date écrasés dans l'indifférence et le mépris ? Ainsi, Zola dépeint avec beaucoup de droiture les vices inamicaux qui empoisonnent l'existence et se saisissent de la crédulité humaine, laissant choir aux pieds des intéressés une carcasse de belles promesses mensongères sur laquelle se ruent les bonnes volontés aveuglées par les caresses et les paroles à la saveur douceâtre :  Eugène Rougon n'est rien d'autre qu'un chien obéissant aux ordres qu'on lui donne, et le pouvoir totalement illusoire qu'il croit détenir n'est en réalité que le fruit d'une manipulation savamment orchestrée par son entourage proche ou lointain.

Que l'on considère ou pas Émile Zola comme un romancier visionnaire, on ne peut pas nier le côté précurseur, avant-gardiste et toujours d'actualité de ses propos. La fiction littéraire, ce support incroyable qui peut donner vie à toutes les idées, sert la pensée de l'auteur. Paradoxalement, la fiction n'est pas plus au service de l'écrivain que celui-ci ne sert les intérêts de son oeuvre : c'est une collaboration intellectuelle dans laquelle se déversent les incompréhensions, les doutes, les incertitudes, les désaccords, les mésententes, sans oublier les inimitiés profondes qui subsistent dans la réalité de l'auteur... Zola écrit, Zola caricature, Zola critique, mais Zola construit son jugement et le nourrit d'exemples, de vérités historiques qu'il a rassemblés pour non pas décider le lecteur à choisir un idéal ou un autre, mais plutôt pour l'amener à se façonner sa propre opinion, sans subir l'influence extérieure qui échauffe les esprits et divise les hommes.

Subtilement bien sûr, l'ouvrage conserve malgré tout une part de rejet, une opposition farouche au conformisme, à la bien-pensance. C'est une thématique qui, aujourd'hui encore, fait débat et nous noie dans l'adversité autant que dans la déliquescence progressive de nos sociétés. C'est l'oubli, la mise en quarantaine de la liberté, l'obsolescence programmée de l'humanité, la régression du libre-arbitre... Même si je n'ai pas su apprécier ce livre autant que j'aurais aimé, j'ai été touchée par le combat moral, subliminal mais tellement puissant, cette lutte incessante pour que chacun(e) de nous puisse être la personne qu'il/elle est vraiment, et pas ce que d'autres ont décidé que nous devions être.

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  • Reculer pour mieux sauter, la chute sera douloureuse...

Ce qui, finalement, ôte tout le charme de ce roman, ce sont les personnages. Ils sont tellement mesquins, cruels et calculateurs qu'ils en deviennent ennuyeux. Leur hypocrisie en vient à frôler le ridicule et leur médiocrité de caractère ne nous laisse en bouche qu'une certaine amertume. Ils sont déplaisants, manipulateurs et assombrissent le récit, ils obscurcissent la petite lueur d'espoir qui, tout au long de l'histoire, semble briller au loin comme pour nous inviter à croire que tout peut s'arranger. Mais en réalité, tout n'est qu'illusion du début à la fin ! La sincérité, les amitiés, la confiance... Comme Eugène Rougon se laisse embobiner par son sens aigu de la justice, le lecteur se fait littéralement avaler par les détournements littéraires dont Émile Zola use pour taquiner notre esprit.

C'est un jeu, une farce intelligente qui ne laisse rien au hasard, mais qui, par une malheureuse palette de protagonistes détestables, plonge le lecteur dans l'ennui et la lassitude que vient cependant contrer l'invariable force d'écriture de cet auteur. Tout se confond habilement et se perd dans un mélange de culpabilité assassine, machiavélique, désespérée... Et ainsi Son Excellence Eugène Rougon nous captive à sa manière et nous entraîne dans la redoutable contemplation du monde tel qu'il fut hier, qu'il est aujourd'hui et qu'il sera peut-être demain !

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En résumé, Son Excellence Eugène Rougon est un classique, un livre qui, pour moi, malgré les points négatifs que j'ai pu observer, reste un incontournable qu'il faut découvrir ! Émile Zola nous confronte à notre part d'ombre et de lumière, éveille en nous des sentiments qui, sur le moment, peuvent nous apparaître contradictoires et complètement décousus, mais qui s'avèrent être les fils conducteurs de notre pensée. Un grand roman qui mérite d'être lu !

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Détails sur ce livre :

Son Excellence Eugène Rougon, publié aux éditions Le Livre de Poche

Auteur : Émile Zola

Nombre de pages : 424 pages

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Je vous dis à bientôt pour un prochain article et je vous souhaite de faire de belles lectures.

Sue-Ricette

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Commentaires
E
Je suis curieuse, je ne connaissais pas du tout ce titre des Rougon de Zola, et j'espère avoir l'occasion de le découvrir ^^
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C
Comme toi il ne m'a pas emballé plus que ça ! mais c'est toujours aussi bien écrit !
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P
Je ne l'ai pas lu, j'en ai lu d'autres, le sujet est sans doute lui-même un peu aride! Mais sans doute la vie politique de l'époque n'est pas si différente ce celle de la notre...<br /> <br /> Tes notes de lectures sont toujours intéressantes, bisous.
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M
En tout cas, tu peux lire ce livre dans les années 70, 80, 90 etc., il est toujours d'actualité :?<br /> <br /> Je reconnais que ce n'est pas mon préféré, non plus !<br /> <br /> Doux w-e Sue-Ricette, bisous
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N
Tout Zola ne peut pas plaire. Je me souviens ne pas avoir aimé "Thérèse Raquin".<br /> <br /> Belle après midi, bisous
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